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Les gueules bleues de Guerlédan

Bretagne Actuelle

Gilles CERVERA
Publié le 10/01/2023

En 2022 est sorti dans le Kreiz-Breizh un beau, un grand, un bel objet de mémoire. Jean Luc Chevé, jardinier-cinéaste, documentariste-anthropologue a profité en 2015 de l’assec de Guerlédan, événement rare dans un siècle. Il y a flâné comme deux millions de visiteurs, sauf qu’ici la visite de Chevé est poussée, lyrique et documentée.

Comme ce paysage est beau ! Les frondaisons de Quénécan au sud et les rives schisteuses du nord, mordorées, sombres et lumineuses, où le Blavet glisse ses eaux vives dans la faille multimillénaire.

Chevé remonte ce temps avec un géologue qui nous élève de sa belle science des plis et des saillies de ces volcans éteints et il resserre ses images sur les descendants ou les témoins des Gueules bleues.

Qui n’a pas hanté le Kreiz-Breizh entre Caurel à l’est et Liscuis à l’ouest, qui n’a pas sauté par-dessus les tumultes du Daoulas qui se jette ici après dégringoler ses gorges à vif depuis Laniscat, qui n’a marché enfant en équilibre, funambulisme rare, bras écartés en haut des crêtes acérées de schiste, qui n’a pas dallé ses allées de jardin avec les plaques trouvées dans les talus ou sur les fouillis de déchets, qui n’a pas conversé avec ceux qui, paroles rares et paroles chères, ont évoqué le mépris des carriers, les pierreux, et leur aristocratie de sabots à clous pour ne pas glisser, celui-là comprendra avec ce beau film ce que le mépris de classe a tellement blessé ces Centre-bretons, gens de rien, gens de science aussi. Cette science pour bâtir des soutènements de pierres sèches afin que les puits ne s’éboulent pas. La science pour creuser, fendre, baraminer les blocs et les remonter à dos d’homme par l’échelle ou les trous de roche. Cette science pour scier la roche afin de former les mille ardoises qui vaudront trois francs à son faiseur au début du dernier siècle.

Nous ne voyons pas tout ça dans le film. Si surprenante et aérienne, la musique du cliquetis lythique de Frédérick Navarre, ou, si précise et puissante, la vision des témoins. Les derniers à transmettre en voie/x directe. Les mineurs sont morts depuis longtemps, schistose oblige. Restent les récits, tus souvent, ici réenchantés par Jean Luc Chevé, sur écran : Simone la fille du forgeron, aussi Marie-Noëlle Le Mapihan, petite fille de carrier ou Marie-Thé Thomas-Devalan, issue d’une famille de patron qui ouvre, sur sa terrasse dallée de schistes, le cahier des comptes. La plus grande maison que découvre l’assec, à deux étages, est le Café Thomas, épicerie avec fournil et les quelques maisons basses, celles des carriers quand ce n’était pas sur le flanc arboré quelques huttes plus fragiles et donc disparues. Un joli sort est réservé à ceux de Keriven, en Caurel, où les récits sont vifs, retenus entre les pierres plates des murs et par quelques habitants attelés à réenchanter les histoires de l’Histoire.

Commandez ce film. Recommandez-le. Et au-delà de Maël-Carhaix, Gourin et Locarn, au-delà de Mûr et Bon-Repos. Pan d’histoire indispensable et pan d’architecture. Les maisons tiennent malgré l’engloutissement séculaire du barrage, et ce pan des paroles de tous ces ardoisiers dont les enfants se sont exilés à Paris. Les mousses commençaient à huit ou dix ans, essorant l’eau des puits ou remontant dans des hottes les nombreux débris d’une ardoise rétive que celle de Trélazé, plus fine et moins métallifère, viendra remplacer au cours du XXème siècle.

Jean Luc Chevé nous annonce son DVD pour vite, hum, vite ! Jean Luc ! Et un second volet à suivre intitulé Sous les eaux claires de Guerlédan, à sortir cette année.

Salle pleine au Cinéma Arvor de Rennes ce dimanche 8 janvier à l’heure de la messe (Ils en prennent plein la poire les curés, ici pris pour des taureaux nocturnes quand le mineur rentre beurré de sa journée d’extraction !)

Queue de Kreiz-breizhiens rennais ou de descendants jusque loin sur le parvis sud de la Gare. Ouf, tous les cinés ne diffusent pas Avatar !

Film à voir chaque mardi de l’été prochain au cinéma de Mûr de Bretagne.

Et si Breizh avait ici son Kreiz ! Pardon Yeun-Elez. Pardon Le Huelgoat et Toul-Goulic ! Bretagne est partout mais sous les parois rousses de Liscuis ou de Canach’Leron, sûr que le très-bas touche le très-haut !

Gilles CERVERA

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